Cambodge

Phnom Penh, plongeon dans une histoire terrifiante

S21 visite Cambodge Phnom Penh
Ecrit par Pauline

[wp-svg-icons icon= »notification » wrap= »i »] Attention, cet article contient des propos et photos pouvant heurter la sensibilité d’un public non-averti.

Le Cambodge, ce n’est pas que Angkor Wat et ses temples millénaires. L’histoire récente du pays a causé de grands bouleversements dans la société cambodgienne qu’il est, à mes yeux, essentiel de connaître pour mieux comprendre ce pays.

L’histoire en bref

Le Cambodge a été sous domination des khmers rouges de 1975 à 1979. Pol Pot, son principal dirigeant, croyait en une société sans classes. Pour ce faire, les khmers rouges ont souhaité vider le pays de tous ses intellectuels, dissidents politiques, bourgeois, personnes d’origine étrangère, minorités ethniques ou religieuses… Toute personne considérée comme suspecte était enfermée, souvent torturée afin d’obtenir des aveux et finalement abattue. Le simple fait de porter des lunettes pouvait être un motif d’emprisonnement.

Le Cambodge est alors plongé dans une dictature d’une violence extrême bafouant tous les droits et les libertés de l’Homme (déplacements, religion, vie privée, liens familiaux, loisirs…). Basée sur le travail dans les rizières, les habitants des villes sont évacués dans les campagnes. Des quotas de production trop élevés sont imposés sans considération du climat ou des conditions de production.

Au total, entre les déportations, les famines et les exterminations, le régime des khmers rouges a provoqué la mort d’au moins 20% de la population cambodgienne !

Le régime sera renversé par les vietnamiens en 1979 mais ce ne sera pourtant pas la fin des khmers rouges dont le mouvement politique ne disparaitra officiellement qu’en 1999. Et ce n’est qu’en 2003 que le procès contre les dirigeants khmers rouges démarre mais il est déjà trop tard et beaucoup meurent de leur belle mort en échappant à la justice. Seul Kang Kek Leu, alias Douch, directeur du S-21 dont je vous parle plus bas, sera jugé et condamné à la prison à perpétuité.

Et aujourd’hui ?

La société cambodgienne doit aujourd’hui se relever de cet épisode tragique et reconstruire le pays. Mais privée d’un nombre important d’intellectuels, de professeurs, d’ingénieurs, de docteurs… le processus prend du temps. Tous les cambodgiens connaissent quelqu’un qui a subi les atrocités de ce régime. Sujet tabou, la population a tendance à vouloir éviter le sujet. J’ai tenté à plusieurs reprises d’en discuter avec des locaux mais sans succès. Les cambodgiens se taisent, disent clairement ne pas vouloir en parler ou changent poliment de sujet.

Comprendre l’histoire par la visite des lieux de mémoire

Une manière concrète pour moi de comprendre ce que les cambodgiens ont dû subir était de visiter deux lieux à la fois extrêmement bouleversants et éducatifs.

Le S-21

L’éducation publique n’était pas importante pour le régime. Ainsi, la plupart des écoles ont été transformées en prisons, en entrepôt ou en étable.

S21 visite

L’ancien lycée converti en prison de l’extérieur

C’est le cas de cet ancien lycée renommé Tuol Sleng, aussi connu sous son nom de code « S-21 », une des prisons les plus secrètes du régime. La majorité des prisonniers étaient des cadres khmers rouges accusés de trahison (collaboration avec des gouvernements étrangers, espionnage pour la CIA ou le KGB). La plupart du temps, toute la famille de l’accusé était emprisonnée.

S21 visite

Les cellules construites dans les anciennes salles de cours

Les prisonniers ne savaient souvent pas pourquoi ils étaient là mais ils étaient torturés jusqu’à ce qu’ils avouent n’importe quel crime. Après l’aveu d’un crime fictif, l’exécution était proche.

S21 visite

Les salles de tortures avec les photos des pièces lorsqu’elles ont été découvertes

Entre 14000 et 20000 personnes ont été détenus dans cette prison. Seules 7 personnes ont officiellement survécu mais, d’après des recherches ultérieures, une centaine  de personnes ont été relâchées.

S21 visite

Le règlement de la prison

Aujourd’hui transformée en musée, vous pouvez parcourir les salles des bâtiments et la cour qui parait si paisible, et faire face à l’horreur. N’oubliez surtout pas de prendre l’audio-guide qui fait prendre tout son sens à la visite.

S21 visite

Les photos de quelques gardiens de la prison… la plupart sont très jeunes.

Killing fields

Les prisonniers du S-21 et d’autres prisons du pays étaient transportés à Choeung Ek, l’un des « killing fields » les plus importants du pays. Comme son nom l’indique, les prisonniers y étaient emmenés afin d’y être exécutés et enterrés dans des fosses communes. Les prisonniers étaient placés au dessus des fosses et abattus à coup de massue ou égorgés avec les branches très coupantes des palmiers à sucre.

Killing fields visite Cambodge Phnom Penh

Cet arbre creux servait de haut-parleur, camouflant les cris des prisonniers avec des chants révolutionnaires

La visite consiste en un parcours à l’extérieur au milieu de ce qu’étaient auparavant les fosses. On vous expliquera que tous les os n’ont pas été extraits et que parfois, dû au climat ou au mouvement de la terre, certains remontent naturellement à la surface. On vous montrera cet arbre creux, le même genre que celui à l’abri duquel Bouddha a atteint le nirvana. Celui-là servait de haut-parleur naturel pour diffuser les chants révolutionnaires. On vous montrera cet autre arbre, bien plus terrifiant, contre lequel les bébés étaient frappés jusqu’à leur mort.

Killing fields visite

« Arbre contre lequel les enfants étaient frappés » – Les visiteurs y déposent des bracelets en leur mémoire

Et puis vous terminerez votre visite par cette stupa-mémorial, remplie de milliers de crâne retrouvés sur place.

Killing Fields visite

La Stupa-mémorial des Killing fields à droite

Mon avis sur ces visites

J’ai décidé de visiter ces lieux pour comprendre davantage l’histoire du pays, qu’on m’avait brièvement raconté mais que je ne connaissais pas en détail. Il m’a été très difficile de retenir mon émotion durant ces visites.

Les lieux en eux-mêmes appellent à beaucoup de respect et de retenue. Le parcours est bien fait et chaque endroit est expliqué grâce à l’audio-guide qui est, à mon humble avis, indispensable. Je n’ai vu aucun mauvais comportement de la part des visiteurs, tout le monde respectait les lieux et écoutait attentivement les explications.

Ce sont aussi, et c’est ce que je craignais en allant les visiter, des sites extrêmement macabres, assombris par leur histoire. Je suis repartie de là complètement remuée et je continue aujourd’hui d’y penser et de me demander pourquoi… Essayer d’expliquer l’inexplicable. Mission impossible.

Killing fields visite

L’intérieur de la stupa est remplie de milliers de crânes retrouvés sur place

Au même titre que la visite de sites comme les camps de concentration et d’extermination nazis, je trouve qu’il est important de se rendre sur place pour ressentir les choses. Il y a pour moi une grande différence entre savoir, comprendre et compatir. Je connais désormais cette partie de l’histoire, je ne la comprends toujours pas totalement mais j’ai ressenti de la compassion au sens noble du terme (=souffrir avec) pour toutes ces personnes qui n’avaient aucunement mérité de mourir et encore moins dans de telles souffrances.

Un simple musée dans un bâtiment lambda m’aurait certainement permis de connaître mais peut-être pas de ressentir et de compatir. Certains diront que c’est malsain… Moi, je trouve que toucher du doigt la réalité permet de mieux sensibiliser et, par conséquent, d’éviter qu’une tragédie pareille ne se reproduise.

Je dois tout de même avouer que j’étais plutôt négative en sortant de ces visites… Comment après l’horreur nazie que tout le monde connait et pour laquelle je croyais le monde entier sensibilisé, un tel génocide a pu avoir lieu sans que personne ne s’en rende compte, sans que personne n’intervienne… Est-ce que l’Histoire est destinée à se répéter inlassablement ?

[wp-svg-icons icon= »compass » wrap= »span »] Infos pratiques

Visites : Comptez environ 3 heures pour chaque visite pour prendre le temps d’écouter toutes les infos. Pour ma part, je me suis rendue au S-21 l’après-midi et aux killing fields le lendemain matin mais vous pouvez enchaîner les 2 visites (même si ça fait beaucoup d’émotions d’un coup) et négocier un tuktuk pour la journée. Je vous conseille de visiter d’abord le S-21 puis les killing fields, c’est plus logique.

L’entrée avec audio-guide (disponible en français) coûte $6 dans chaque site.

Transport : Le S-21 se situe à environ 15 minutes du centre de Phnom-Penh et les killing fields à environ 45 minutes. Nous étions 2 et nous avons payé $11 pour l’aller-retour aux killing fields et, de mémoire, $4 pour le S-21.

Logement : A Phnom Penh, j’ai logé dans cette auberge de jeunesse : 11 Happy House

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S21 et killing fields visite cambodge

9 Commentaires

  • Quel courage que de faire tout un papier sur ce lieu de l’horreur. J’avoue que je n’ai pas eu la force de trop en dire sur mon blog.
    A la base je ne voulais pas visiter ces lieux mais finalement le devoir de mémoire est trop fort pour ne pas le faire. J’y suis donc allée avec toute l’humilité que je pouvais avoir. Je ne le regrette pas.
    La visite au killing field est d’ailleurs bien fait. Le guide audio présente parfaitement ce qu’a pu être l’horreur sans pour autant devenir glauque. Ce qui me glace le sang lors de la visite c’est la bande son qui reproduit parfaitement le mix entre la musique nationaliste et les groupes électrogènes qui « cachaient » le bruit des fusils.
    Je conseille aussi d’y aller pour ce devoir de mémoire qui doit être fait. Bravo aussi à la nouvelle génération de Cambodgien qui parlent aujourd’hui et veulent dévoiler cette période funeste de l’histoire de leur pays.
    Je conseille d’ailleurs le nouveau film d’Angelina Jolie, tiré du livre de la Cambodgienne Loung Ung. Poignant. Je ne l’ai pas lu, encore. J’ai toujours peur de ne trouver que du glauque.

    • Salut Charlie ! Merci beaucoup pour ton message et ton retour ainsi que tes infos supplémentaires ! Je ne connaissais pas ce film, je vais aller jeter un coup d’oeil !

    • C’est tout à fait ça… On essaye de se mettre à la place des gens qui étaient là, et en même temps on ne pourra jamais comprendre à quel point ils ont souffert !

  • Bonjour,

    Je suis chargé de communication chez YIL EDITION, et je me permets de vous contacter concernant notre dernière sortie « CAUCHEMAR A TUOL SLENG » qui dénonce la dictature khmère rouge menée dans les années 70.

    Cette bande-dessinée propose une approche originale en insistant sur l’importance de la mémoire historique. D’autres valeurs telles que la réconciliation paternelle et le retour aux racines composent ce bel ouvrage.

    Je vous invite à découvrir les premières pages sur notre site à cette adresse: http://yil-edition.com/produit/cauchemar-a-tuol-sleng/

    Si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à revenir vers moi.

    Bien à vous,

    David Volpi

  • C’est effectivement une partie de l’histoire que nous abordons très peu en France je trouve. Cette visite nous avait également bouleversés lors de notre séjour à Phnom Penh. Nous n’avions pas eu le temps d’aller découvrir les tristement célèbres « killings fields » ou « charniers ».

    • C’est vrai, je me suis fait cette réflexion que je ne connaissais absolument pas cette histoire avant de voyager au Cambodge… La visite du S-21 est déjà une bonne introduction, les killing fields te font juste imaginer encore plus l’horreur que ces gens ont vécu, histoire de bien te marquer !

  • Tu fais vraiment de gros efforts dans tes articles, celui-là est complet et touchant, merci de partager cela avec nous, tu es la meilleure.

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